SERVITUDES : PASSAGE, VUES, ECHELLE, SURPLOMB

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Inventaire des servitudes : des objets divers et variés

Passage, vue, tour d’échelle ou surplomb, ces droits accordés à un terrain voisin limitent parfois l’usage de son propre terrain. Petit tour d’horizon des servitudes les plus répandues, que nous connaissons parfois sans le savoir.

HÉMÉRA Avocats à Paris 14e – Maître Isabelle MOREAU

 

LE DROIT DE PASSAGE

Le droit de passage permet à un propriétaire d’accéder à son terrain lorsqu’il n’a pas, ou pas suffisamment, d’accès à la voie publique.

 

  • Deux formes principales de servitude de passage

→ La servitude conventionnelle : Lorsque les propriétaires s’entendent, le droit de passage peut être fixé amiablement. Il sera alors formalisé par un contrat, en pratique, souvent un acte de vente ou de partage.

→ La servitude légale : Lorsqu’il n’y a pas d’accord possible, la loi peut imposer une servitude si les conditions prévues par l’article 682 du Code civil sont réunies : il doit s’agir d’un terrain enclavé.

 

  • Qu’est-ce qu’une enclave ?

Deux cas de figure sont possibles :

1/ Un terrain sans issue sur la voie publique, ce pour différentes raisons :

Une impossibilité physique : en raison de la configuration des lieux. Par exemple, l’accès par un escalier d’1,50 mètres de large aboutissant à une route nationale, avec un dénivelé de 40% est insuffisant pour un usage d’habitation : Cass. 3e civ., 15.12.1999, n°97-15.574.

Une impossibilité juridique : les travaux d’aménagement nécessaires à la desserte du terrain sont proscrits par les règles d’urbanisme. Par exemple, l’unique accès se situe sur une parcelle classée espace boisée interdite à la circulation : Cass. 3e civ., 11.01.2018, n°17-14.173.

Une impossibilité économique : le coût des travaux d’aménagement serait disproportionné par rapport à la valeur du terrain (et non pas par rapport aux capacités financières du propriétaire). (Cass. civ., 25.11.1845)

2/ Un terrain avec un accès insuffisant. Un accès existe mais il est inadapté à l’usage normal du terrain (usage agricole, commercial…).

Une simple gêne ou une incommodité du passage ne suffit pas, il faut une vraie nécessité, par exemple en raison de la dangerosité de l’issue existante. Les besoins évalués sont :

    • Ceux du terrain, et non de la personne,
    • Actuels, par exemple le terrain peut avoir changer de destination parce qu’il est devenu constructible : Cass. 3e civ., 04.10.2000, n°98-12.284,
    • Même s’ils ne sont qu’occasionnels.

 

  • Cas dans lesquels le droit de passage légal est exclu

Certaines situations empêchent la reconnaissance d’une servitude légale :

Le terrain dispose déjà d’un accès suffisant.

Une servitude conventionnelle existe déjà, même si son tracé est plus long ou moins pratique.

A noter : Il reste possible de demander un élargissement si le passage est devenu insuffisant pour l’exploitation du fonds. Par exemple en raison de l’élargissement du gabarit des machines agricoles : Cass. 3e civ., 04.02.1987, n°85-17.595.

Le terrain bénéficie déjà d’une tolérance, tant que cette tolérance est maintenue. (Cass. 3e civ., 03.07.1961, n°59-12.858  ; Cass. 3e civ., 17.09.2020, n°19-17.729)

L’enclave résulte d’un acte volontaire du propriétaire lui-même. Par exemple parce qu’il aurait édifié une construction sur l’unique accès à son terrain : Cass. 3e civ. 12.07.2028, n°17-18.488.

 

  • Le tracé du droit de passage légal

Le juge détermine l’assiette du droit de passage en respectant deux critères :

Le trajet le plus court vers la voie publique,

Le moins dommageable pour le voisin (fonds servant),

Dans le respect des règles d’urbanisme et de sécurité. (Article 683 du Code civil)

Cas particulier : Si l’enclave résulte d’une division d’un terrain (suite à une vente, un héritage…), le droit de passage ne peut être fixé que le terrain d’origine (Article 684 du Code civil), même si un autre passage serait plus court. (Cass. req., 17.11.1859 ; Cass. req., 27.04.1868)

L’assiette du droit de passage peut être établie par la prescription acquisitive de 30 ans d’usage (mais pas le droit lui-même car c’est une servitude discontinue). (Articles 685 et 691 du Code civil)

 

  • Qui paie quoi ?

Le propriétaire du terrain enclavé (celui qui bénéficie du passage) paie pour l’aménagement du chemin et son entretien. (Articles 697 et 698 du Code civil)

Ce, à moins que le fonds servant utilise également le passage, auquel cas les frais sont partagés. (Cass. 3e civ., 22.03.1989, n°87-17.029; Cass. 3e civ., 14.11.1990, n°89-10.210)

Le propriétaire du fonds servant peut demander une indemnité (Cass. 3e civ., 16.11.1982, n°81-14.216) dans un délai de 30 ans (délai de prescription en matière immobilière) (Cass. 3e civ., 30.05.2007, n°06-16.400) à compter du début de l’usage du passage. Cette indemnité doit être proportionnée au dommage subi par le fonds servant. Elle comprend :

 

LA SERVITUDE DE VUE

Quand on conçoit ou rénove sa maison, on ne pense pas toujours à l’impact qu’une simple fenêtre mal placée peut avoir sur les relations de voisinage. Pourtant, le Code civil encadre précisément les jours et les vues, pour éviter les regards indiscrets sur le fonds voisin. Voici ce qu’il faut savoir avant de percer un mur donnant sur la propriété voisine.

 

1/ Les jours : pour laisser passer la lumière, pas les regards

  • Définition

Un jour est une ouverture faite uniquement pour laisser entrer la lumière, sans permettre de voir ni de faire passer l’air. En pratique, il s’agit de fenêtres fixes, qui ne s’ouvrent pas, souvent vitrées avec du verre opaque ou translucide. La jurisprudence l’étend à certaines fenêtres de toit dès lors qu’elles ne permettent aucune vue sur le fonds voisin. (Cass. 3e civ., 04.05.2010, n°09-14.908)

  • Conditions légales :

Pour être conforme, un jour doit respecter plusieurs règles :

Le vitrage doit être à verre dormant (fixe, sans possibilité d’ouverture),

L’ouverture doit être placée à:

  • Droits du voisin :

En matière de jour, le voisin reste libre de construire ou planter à la limite de son terrain, même si cela obstrue la lumière. En principe, ce n’est pas une faute.

Mais dans certains cas, il peut y avoir une indemnisation si cela excède les inconvénients normaux du voisinage. Par exemple, un bâtiment voisin est construit en limite séparative bloquant la lumière des deux jours situés sur un mur pignon entraînant une perte anormale de luminosité naturelle anormale ; le juge décide d’indemniser la perte de valeur du bien : Cass. 3e civ., 03.10.2024, n°23-11.448.

 

2/ Les vues : voir dans les règles

  • Définition 

À la différence des jours, les vues sont des ouvertures permettant de voir le fonds voisin. Il s’agit des fenêtres, des balcons, des terrasses. (Article 678 du Code civil)

  • Deux types de vues 

Les vues droites: Ce sont les ouvertures qui permettent de voir directement le fonds voisin sans bouger. Elles ne sont autorisées que si elles sont placées à au moins 1,90 mètres de la limite de propriété du fonds voisin.

Les vues obliques: Ce sont les vues qui nécessitent de se pencher ou tourner la tête pour voir le fonds voisin. Elles sont autorisées si elles se trouvent à au moins 60 centimètres de la propriété voisine.

Pour calculer la distance, il faut partir du bord extérieur de l’ouverture jusqu’à la ligne de séparation des propriétés. (Article 680 du Code civil ; Cass. 3e civ., 13.10.2009, n°08-12.219)

  • Que faire si la vue est illégale ?

 Si votre voisin a créé une vue non conforme, vous pouvez en demander la suppression à condition d’agir à temps. Passé un délai de 30 ans, une vue même illégale devient régulière ; la servitude est acquise par prescription. (Cass. 3e civ., 17.11.2016, n°15-24.687) Une fois la prescription acquise :

 

LE TOUR D’ECHELLE

Vous avez besoin de réparer ou ravaler un mur en limite de propriété, mais l’accès n’est possible que depuis le terrain de votre voisin ? C’est là qu’intervient le « tour d’échelle ».

 

  • Définition du tour d’échelle

Il s’agit du droit temporaire d’un propriétaire d’accéder à la propriété voisine pour y installer les équipements nécessaires à des travaux (comme une échelle, un échafaudage) afin d’entretenir ou de réparer une construction située en limite de propriété.

Ce droit n’est pas prévu par la loi mais est reconnu par la jurisprudence. En cas de refus du voisin, il est possible de saisir le juge pour faire reconnaître ce droit sur le fondement des inconvénients normaux du voisinage.

 

  • Dans quels cas le tour d’échelle est-il autorisé ?

Les conditions sont strictes :

Des travaux nécessaires: Le tour d’échelle ne s’applique pas pour des interventions de confort ou d’esthétique. Par exemple, peindre un mur pour en changer la couleur ne suffit pas. Les travaux doivent être nécessaires à la conservation du bâtiment, comme une obligation de ravalement ou une réparation indispensable.

Aucune autre solution technique: Le tour d’échelle ne peut pas être demandé si d’autres solutions existent. Cependant, le juge apprécie le coût et la faisabilité des alternatives :

    • Aucune autre possibilité technique de réaliser les travaux ne doit être possible, par exemple, il n’y pas d’autre solution que la pose d’un échafaudage dans le jardin voisin : Cass. 2e civ., 08.01.1992, n°90-17.870.
    • Ou bien s’il existe une alternative (par exemple, une intervention de cordistes), elle serait trop onéreuse, c’est-à-dire que le coût serait disproportionné par rapport à la valeur des travaux (Cass. 3eciv., 15.02.2012, no10-22.899).

 

  • Coût du tour d’échelle

Là encore, une gêne, une indemnité. Le voisin peut demander une indemnisation qui couvre :

Les éventuels dégâts matériels commis pendant les travaux,

Le trouble de jouissance (bruit, occupation temporaire, perte d’intimité…).

Parallèlement, le refus du voisin de permettre le tour d’échelle peut être sanctionné s’il est considéré comme un abus de droit. (Cass. 3e civ., 15.04.1982, n°80-17.108)

 

LA SERVITUDE DE SURPLOMB

La servitude de surplomb permet, dans un contexte d’économies d’énergie, d’isoler un bâtiment par l’extérieur en limite de propriété, même si l’épaisseur de l’isolant dépasse sur la propriété voisine. Ce droit est encadré par l’article L 113-5-1 du Code de la construction.

 

  • Les conditions du droit de surplomb
    • Epaisseur limitée : l’isolant ne soit pas dépasser 35 centimètres ;
    • Hauteur minimale : il doit être posé à au moins 2 mètres au-dessus du sol ;
    • Droit subsidiaire: aucune autre solution aussi performante énergétiquement n’est possible ou bien elle serait trop complexe à mettre en œuvre ou trop coûteuse ;
    • Droit payant : une indemnité doit être réglée au voisin avant les travaux.

 

  • Comment mettre en place le droit de surplomb ?

Le droit de surplomb est soumis à un formalisme rigoureux.

1/ Une notification préalable au voisin: Le propriétaire du bâtiment doit informer officiellement son voisin de son intention de poser une isolation débordant sur sa propriété.

2/ Un délai de 6 mois pour réagir : Le voisin dispose d’un délai de six mois pour :

S’opposer à l’exercice du droit de surplomb, pour un motif « sérieux et légitime » lié à l’usage de sa propriété ou au défaut de réunion des conditions légales de la servitude de surplomb.

Saisir le juge pour la fixation de l’indemnité préalable.

3/ Un acte écrit obligatoire: Enfin, le droit de surplomb doit être prévu par écrit. Plus précisément il doit s’agir d’un acte notarié, ou d’une décision de justice, publié au service de la publicité foncière.

 

  • Droit d’échelle

Le droit de surplomb inclut un droit d’accès temporaire à la propriété voisine. Cela implique que le propriétaire peut :

Accéder au terrain voisin le temps des travaux,

Installer les équipements comme les échelles ou échafaudage, mais uniquement ceux nécessaires à la réalisation des travaux. (Article L 113-5-1 du Code de la construction et de l’habitation)

 

Pour conclure,

Les servitudes peuvent paraître techniques, mais elles sont là pour préserver l’équilibre entre voisins. Parfois subies, parfois méconnues, il est pourtant essentiel de les comprendre afin d’éviter les mauvaises surprises et les conflits. N’hésitez pas à faire vérifier vos droits ou vous faire accompagner par votre avocat.

 

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